Mieux se perdre pour se retrouver, c’est vraiment la seule
phrase que j’ai expérimentée une bonne centaine de fois et peut-être qu’il
serait temps que j’en fasse une théorie afin de ne plus avoir à tenter l’expérience.
Performatif : je me perds.
Conclusion : je me retrouve.
Joyeusement.
Véritablement.
Le plus difficile à chaque fois : le sevrage…ou comment
devenir une grande biquette qui n’a plus besoin de chercher la mamelle du
destin pour trouver sa source.
Les beignets en street food, désolée, c’est
dégueulasse : ça crame dans une grosse poêle avec une huile millénaire aux
épices « dust and shit and sometimes flies ». Le chutney coupé avec
de l’eau et une feuille de cumin pour faire bien, c’est vraiment pour faire
passer la friture…et encore.
Ça tombe bien dans cette histoire de repérage de soi, j’ai
perdu mon odorat. Merci mon nez qui a décidé d’aller visiter la face de Gogol.
En attendant, je n’ai plus de goût, ode-à-ma-grand-mère, inutile de détailler
le pourquoi ici, c’est une trop belle histoire d’amour et les histoires d’amour
quand elles sont si belles, on préfère ne pas en parler…ça fait pleurer.
Il me faut ça, perdre le goût pour retrouver le dégoût de ce
qui mérite de l’être…et retrouver un goût qui se respire à plein poumon :
ça s’appelle la Vie.
A fond sur mon vélo,
je traverse la poussière rouge, je passe devant le petit temple en raclant les
paires de sandales qui s’empilent entre des pastèques trempées dans de la
poudre de faux curcuma et des moitiés de citron qui crient aux forces malignes :
« Va de retro » : en Tamil je ne sais pas le dire, mais les
rituels sont polyglottes.
J’ai perdu mon rétro, cassé mon passé, ma route est tracée.
Je ne sais même plus pourquoi j’y vais, j’ai déjà la tête avide et acide.
Pourtant cette fin d’après-midi où la chaleur me met du plomb dans l’aile, je
défie la pesanteur et me sens incroyablement légère, comme si l’après-coup
avait déjà sublimé le coup.
Je croise ce que j’aime, ce que j’ai aimé ici, ceux que je
ne veux pas oublier, ceux qui m’ont fait perdre mes repères parce que je ne
veux pas ne jamais les revoir, mais je veux revoir ceux que j’aime aussi
là-bas. Les vagues éclatent sur les bords et ricochent sur le cheval de
bois : il a décidé d’être fixe et éternel. Dieu est un cheval.
Déchirée comme un vieux sari, voilà ce que je suis. J’ai le
bindi qui me glisse entre les deux yeux, il me fait un trou précieux sur la
langue, elle saura désormais dire ce que je n’ai pas vu.
Murée dans mon silence, je dois passer devant les pêcheurs
et me désemmêler des filets…elle est là, la vieille, accroupie près de son
caniveau, celle qui m’a offert son magnifique thé. Ce soir, on cherche les poux
partout, les têtes se penchent, les doigts grattent les crânes en file
indienne. Les petites filles courent
avec leur cartable sur le dos, leur cahier dans une main, des snacks frits ou
une mangue à croquer avec la peau dans l’autre. Les garçons ont improvisé une
partie de badminton entre les cocotiers, fini le temps de la pétanque avec les
cailloux, mais j’évite de peu une pierre tirée avec un arc fabriqué. Rickshaw
jaune face à moi, un coup de pouet, si je ne me pousse pas, je tombe à
l’eau : qu’est-ce qui reste ?
Si je ne me pousse pas, je tombe à l’eau qu’est-ce qui
reste ?
Je me suis poussée, la question ne se pose plus.
Ce qui compte, c’est trouver une réponse. La route est
dégagée, tout va bien. Il reste juste la vie entassée dans les bicoques à
droite et à gauche. La route c’est le danger pour le petit qui sort de sa
maison, chambre, salon, cuisine pour aller voir sa mère qui fait la vaisselle
au milieu des corbeaux pendant que la petite prend son bain dans la bassine d’à
côté. La maison n’a pas vraiment de murs : c’est peut-être ça aussi la
Liberté : extension du domaine de la Vie.
Elle. La Vie. Elle, la Vielle.
La vielle me fait un coucou plein de tout. Je freine,
j’oublie où je vais le temps de ne pas arriver à empêcher mes lèvres de
s’ouvrir et de sourire à elle, la vieille dans le caniveau, entre ses poules et
son linge qui sèche par terre.
Pourquoi ce soir m’arrêtent-ils tous avec leur cœur ? Je
vais encore droit au gouffre pour sentir le fond – de mon cœur- (c’est moi qui
souligne),
Mais pourquoi m’arrêtent-ils tous avec leur cœur et leurs
yeux brillants ?
Mais pourquoi m’arrêtent-ils avec leur cœur et leurs yeux
brillants ?
Non, pas toi gamin, je sais que je premier jour tu as voulu
me dévaliser de mes roupies.
J’ai dit non.
Tu as insisté en marchant vite près de mon vélo rose
« Ladybird ».
J’ai dit non.
Tu m’as demandé un crayon.
J’ai dit non.
Tu m’as souri.
Je t’ai souri.
Depuis, tu ne me demandes plus rien parce que tu as compris
qu’entre toi et moi, ça n’allait pas en passer par là.
Tu m’aperçois de loin et tends ta main. Juste le temps de
lâcher mon guidon et de frapper avec la mienne : ce soir on est pote.
Pourquoi ce soir, dis-je ?
Pour me dire d’arrêter d’aller faire ce qui n’a plus le même
sens qu’hier et avant-hier ?
Sans doute et certainement pas.
En tout cas, j’ai fini ma soirée épuisée, mais
presqu’heureuse et sereine, en reprise d’appuis venus de je-ne-sais-où, réponse
à ma demande. Bonheur d’un film bien français entre deux bouchées automatiques
avant que l’écriture ne le soit.
Question de famille, d’amour, de liberté, d’adoption…encore.
J’ai un sacré problème avec ces histoires de liens. Ma vie
est une histoire d’attaches pas si parisiennes que ça. Ça ne tourne pas rond
quand il s’agit d’ôter le lien : il faut frotter fort pour oublier
l’empreinte et ça, moi je ne sais pas faire.
Alors j’abandonne, je me sépare, je me mutile de moi-même
pour enclencher la distanciation en mode décristallisation : finalement,
les voyages, c’est de la merde…on ne rencontre personne de bien, et on reste
aussi perdu. ( voix de fille qui ment)
Mauvaise foi, à l’évidence. Terrible rencontre que celle de
l’Autre qui t’envahit. Quand en plus tu te laisses accroire que tu partages ton
corps avec celui du divin, c’est l’Enfer qui frappe de la sorte à ta
porte. Je vais manger des pastèques roulées dans du curcuma et penser :
« va de retro divino ! »
Poésie…
J’ai le vers solitaire…
L’arrime libre…
La strophe catastrophe.
« Je » serait un Autre…donc
Ou avec un Autre…
Tout m’échappe si cet Autre me condamne à le contempler et à
m’oublier en lui.
J’ouvre le bar à Thym, remède contre La Mère en-vers
Et contre tous.
Pleine Lune, le ciel Père gage son aura.
Un jour de Nuit
Rhétorique en fleur
L’intime écœure l’entre pétales
Tu m’as été offerte aujourd’hui
A moi, la gardienne d’épines
En mémoire de concentration
Te voilà fleur immémoriale
En buisson ardent
Sous ma focale pâle.
Ce soir, je suis ivre…et ça se boit…
Allah ( se) vautre… (
lui et les autres mais Ah là, ça rimait mieux…)